Lors de la visite du musée de Provins, Wally me posa la question suivante :
Jésus, il a la varicelle ?
J’ai donc décidé de lui expliquer la différence entre les marques de varicelle et de la petite vérole pourquoi certains objets d’art sont mal en point !
Les 5 grandes plaies de la conservation d’objets d’art
Je prends ici l’angle « art » et « patrimoine » tout simplement parce que c’est ce que je connais et ai étudié mais je tiens à préciser avant toute chose que la notion d’objet d’art est déjà tellement large que vous pouvez y caser à peu près tout ce que vous tenez à conserver à long terme : du dessin magnifique (est-il besoin de le préciser ?) de votre gamin qui vient de rentrer de l’école à la vieille montre ou à l’automate XVIIIème que vous venez de découvrir dans une vieille malle à l’occasion d’un héritage (chanceux)…
On va donc parler de tout plein de matériaux tels que le papier, la toile, le bois, les métaux ou même le verre.
Un petit point vocabulaire : quand il s’agit de préserver un objet de dégradations dans le milieu du patrimoine, on parle de conservation préventive.
Le facteur humain
Cela va peut-être vous paraître évident ou surprenant, selon votre foi en l’humanité, mais l’Homme est un peut-être le danger le plus immédiat.
Destruction ou dégradation
- volontaire : la liste des motivations serait bien longue à énumérer mais les motifs « religieux » (extrémistes de tous bords) et politiques sont les plus classiques. Quelques exemples célèbres racontés ici ou là ;
- négligence : par manque de temps et de moyens alloués pour s’occuper d’un patrimoine dont l’étendue augmente (on s’occupe d’anciennes usines maintenant comme de la Joconde ou de peinture rupestres), de nombreuses pièces à conserver se trouvent négligées et se dégradent peu à peu ;
- involontaire : simple chute d’objet lors d’un transport ou nettoyage (le verre ou les poteries anciennes se cassent vite), conséquence indirecte imprévisible (statuette
hantéequi bouge toute seule), ou encore l’ignorance. Une anecdote perso au passage, avec l’histoire d’un gentil monsieur croisé durant mes études. Tout dévoué qu’il était, quand un prêtre de sa paroisse lui avait demandé de refaire une beauté à une vieille statue qui traînait dans un coin, il l’avait repeinte avec un peu de peinture blanche qui restait dans les réserves et avait même été félicité pour son travail…
Elle avait plutôt bien tenue depuis le XVIIIème siècle (à vue de nez).
Vol et disparition
- vol : cela ne fait pas toujours la une des médias mais les vols continuent malgré l’évolution des systèmes de sécurité (qui restent bien loin des films façon Mission impossible) ;
- mystère et boule de gomme pour la plupart (il manque 16 000 œuvres à l’appel dans l’administration française), en tout cas c’est perdu pour l’instant…
Les variations
L’humidité et la température sont deux critères souvent mis en avant pour dire que « oui ça va » ou « non, c’est n’importe quoi ces conditions de stockage ». Pourtant, hors cas extrêmes (dont on parlera plus tard), ce sont surtout les variations de ces facteurs qui poseront problèmes.
Je vous invite à regarder cette courte vidéo de 2 minutes réalisée par le Musée des Beaux-Arts de Lyon qui explique très bien comment ces variations vont créer les craquelures que vous observez sur la plupart des tableaux :
Le cas des métaux
Si l’on omet l’or, tous les métaux un peu anciens se corrodent. La corrosion découlant généralement de l’humidité ambiante (ou des produits d’entretien inappropriés mais bon… on ne va pas chipoter hein ?), il est conseillé de chercher à maintenir une hygrométrie inférieure à 35%. Pas si facile à réaliser…
Comment s’en protéger ?
Le combat est difficile tant il dépend du bâtiment dans lequel est conservé l’objet à protéger.
Si vous croisez des climatiseurs tournant à fond (avec leur ronrons bien agaçant) ou de petites machines aux airs d’outils de laboratoires (thermographes enregistreurs à tambours il paraît) dans les musées, c’est à ça qu’ils servent : réguler et surveiller les constantes.
Les extrêmes : humidité et température
Nous y voilà aux conditions extrêmes, pas besoin de vous faire un dessin, chacun peut comprendre qu’une inondation (c’est d’ailleurs l’objet d’une grosse polémique pour les réserves du Louvre par exemple) ou un incendie peut faire de gros dégâts 😉
La lumière
Fiat lux a beau être deux petits mots que j’aime sortir à tout va, je suis plutôt un oiseau de nuit, qui apprécie une lumière tamisée…
J’aime prendre une dose de soleil de temps à autre mais avec modération. En fait, je sais comment me préserver 😉
Ceci n’est pas un message de prévention contre le cancer de la peau, après mon histoire de don de moelle osseuse de l’autre fois ça ferait un peu trop de bons sentiments d’un coup.
Il se trouve que pour tout ce qui touche les arts graphiques (dessins, peintures, impressions diverses et variées) la logique est relativement similaire.
Si l’on continue avec la métaphore de la peau :
- les ultra-violets (UV) vont dégrader les cellules (pigments et liant), favorisant leur mutation. L’affiche laissée en vitrine au soleil qui vire au bleu/vert, jaunie et pâlie après quelques mois en est un bon exemple;
- les infra-rouges, autre composant de la lumière, vont dégager de la chaleur qui va créer une variation et qu’a-t-on dit plus haut sur les variations ? C’est un danger pour la conservation… Si l’on reprend l’exemple de l’affiche laissée en vitrine, elle aura tendance à se gondoler et à sécher, ce qui la rend encore plus fragile.
Vous me direz que sans lumière difficile d’admirer un chef-d’oeuvre ou même d’en vérifier son état. Il existe heureusement des façon de limiter les dégâts.
Je vous conseille très fortement de regarder cette vidéo de Scilabus : La lumière détruit l’art ?! Et le flash ?!
Comment s’en protéger ?
Par ordre d’efficacité, voici les grands classiques :
- limiter les temps d’exposition. C’est la solution désormais adoptée par de nombreuses institutions qui présentent durant quelques semaines/mois certaines pièces fragiles puis échangent avec d’autres.
- changer les éclairages pour des solutions n’émettant ni UV ni chaleur (les leds ont la cote depuis quelques années).
- appliquer des filtres UV sur les vitres de protection et les fenêtres.
Les animaux et autres formes organiques
Grandes bêtes que vous êtes, vous le savez, pour survivre il faut manger. Le problème, c’est que les petites bêtes (insectes ou même champignons) ont le même besoin et que malheureusement elles sont friandes de pas mal de matériaux qui composent nos œuvres d’art et le pire dans tout ça c’est que c’est irréversible… mangé, c’est mangé !
Je vous présente donc les insectes qui dévorent le bois alias la tribu des xylophages (xylon = bois en grec).
Vous vous rappelez du Jésus tout troué qui ouvrait cette article ? C’était leur oeuvre. Voici un autre exemple croisé au cours d’un stage : « La prière » de Jean Fréour.
Cette bigoudène en prière avec son enfant devait être traitée pour arrêter l’infestation. Les photos suivantes ont été prises avant l’intervention.
Vous remarquez peut-être avec étonnement dans le fond de la pièce des symboles étranges sur les pierres. Ce sont des marques des tâcherons, autrement dit de tailleurs de pierre, qui servaient à se faire payer à la tâche accomplie.
Autre fun fact, quitte à digresser allons-y carrément, les coiffes étaient plus ou moins hautes selon les villages et tout comme les clochers, entraient en compétition niveau hauteur ou qualité des ornements.
Les trous peuvent être l’oeuvre des insectes (les célèbres vrillettes et termites notamment) mais souvent ce sont plus spécifiquement leurs larves qui creusent les galeries. La nature aimant la diversité, les motifs formés par les sillons peuvent parfois permettre de savoir quelle est l’espèce qui s’attaque au bois.
Comment s’en débarrasser ?
Les traitements classiques (insecticides) et invasifs sont bien évidemment à proscrire avec des objets anciens et précieux.
Le meilleur allié du conservateur dans notre cas s’appelle l’anoxie (préfixe a- priver de, oxie…) : faire le vide d’oxygène. Cela n’abîme pas l’oeuvre et tue les petites bêtes vivantes qui nous embêtent. Top, non ?
Comment s’en protéger ?
Un mot à retenir : SURVEILLANCE. Les récolements, ces inventaires réguliers des musées servent aussi à ça, mais il va sans dire que plus les signes sont repérés tôt et plus vite les dégâts irréversibles, je le répète, seront stoppés rapidement.
Une autre chose à mettre en place, qui vaut aussi pour les particuliers, est de faire une quarantaine, même courte, avant d’installer un nouvel objet d’occasion (ou de ré-ouvrir un musée).
D’autres matériaux que le bois sont bien sûr attaqués. Les textiles sont à surveiller puisqu’ils sont le plat préféré de nos amies les mites et cela vaut aussi pour vos placards 😉
Conclusion : bien conserver c’est compliqué
Pour l’instant, soyons honnête on ne fait que retarder l’inéluctable. Cela peut sembler rabat-joie surtout quand on constate l’âge de certaines pièces extrêmement bien conservées découvertes au fond de certains lacs par exemple. Peu de variations et l’absence d’air (milieu anaerobie) peut faire des miracles en apparence mais la dégradation se poursuit quand même.
C’est l’occasion pour moi de rappeler que les fouilles archéologiques ont été ouvertes à la concurrence et que si dans les beaux discours, cette ouverture est sensée dynamiser le secteur et permettre des économies, une fois de plus le résultat a été plus que tendancieux et le patrimoine commun en pâtit (cf la liquidation d’archéoloire) .
Avec un peu de chance peut-être saura-t-on dans les siècles à venir créer des conditions de conservation parfaites et abordables pour tous. On nous vend bien l’idée de la cryogénisation pour les humains, infiniment plus complexes qu’une toile peinte a priori, alors pourquoi pas. En attendant tentons de garder l’œil ouvert en tant que citoyens et/ou professionnels.
Sources (hors souvenirs de cours) :
et
le très chouette site conservationpreventive.be qui propose notamment un tableau récapitulatif (°C/Humidité/lux) par type de matériaux.
Merci d'avance !
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