Souterrains : entre légendes urbaines et réalité

Saviez-vous qu’une bonne partie des arrondissements de Paris peuvent être reliés sous terre ? Saviez-vous qu’à deux pas des institutions européennes à Luxembourg se déploie un réseau de tunnels, vestiges des multiples sièges subis par la ville ? Saviez-vous que Provins était réputée pour ses caves médiévales ? Saviez-vous que je viens de spoiler tout mon article ? Zut…

Souterrains : légendes

J’ai passé la première partie de mon enfance dans un village du vignoble nantais nommé Le Pallet.

Le Pallet, carte de Cassini, 2ème moitié du XVIIIème siècle
Le Pallet, carte de Cassini, 2ème moitié du XVIIIème siècle

Hormis le muscadet, la seule figure d’importance locale est un certain Abélard, grand intellectuel du début du XIIème siècle mais surtout connu comme professeur ayant vécu une histoire d’amour interdite avec son élève Héloïse (loin de n’être qu’une potiche elle-même). Les templiers qui sont passés dans le coin et les ruines du donjon non loin ont cependant suffit à faire naître quelques petites légendes et rumeurs.

L’une d’entre elles voulait que sous la maison que nous habitions (et plusieurs autres terrains bien sûr) passait un tunnel qui menait à une des chapelles proches : la chapelle Saint-Jean des Goheaux, qui aurait été administrée un temps par les templiers, ou la chapelle Sainte-Anne où ont été transférées des pierres tombales de templiers.

Cartes postales - Le Pallet - 23 Fi4875 et 23Fi3834 - archives dép44
Cartes postales – Le Pallet – 23 Fi4875 et 23Fi3834 – archives dép44

La présence du fameux tunnel aurait été confirmée lorsqu’une vache que l’on emmenait boire à la rivière plus bas serait tombée dans un trou (le fameux tunnel) que l’on se serait empressé de reboucher pour éviter d’autres incidents et dont l’on aurait perdu la trace… du moins c’est ce qu’il me reste en mémoire.

Jacques Callot, 1621-1622, Le paysan portant sa pelle sur l'épaule, Les caprices. [26]
La vérité sur l’affaire !
Bref, des histoires comme ça on en retrouve partout, à base d’églises, de châteaux, de fuites et de trésors la plupart du temps. Parfois, il y a une base bien réelle à tout ça mais la majorité du temps non.

Voyons maintenant quelques souterrains qui méritent le détour et qui sont bien réels eux, munissez-vous de votre lampe la plus fiable, de vos chaussures de sécurité et de votre casque le plus fluo possible, je ne veux perdre personne en route !

Souterrains drôlatiques

1) Les catacombes de Paris

Le sous-sol de Paris ressemble à du gruyère. Vous avez peut-être déjà entendu cette affirmation, surtout avec la récente forte crue de la Seine, sans trop savoir pourquoi ou alors en ayant déjà vaguement entendu parlé des catacombes de Paris, il parait même qu’elles peuvent se visiter mais que c’est interdit ou un truc du style…

Hop là, on ralentit, on prend le temps de remettre quelques pièces du puzzle dans le bon sens et tout va bien s’emboîter !

Déjà, il s’agit de distinguer ce qui se visite officiellement, c’est-à-dire les catacombes de Paris, de ce qui est normalement interdit à la visite : les carrières.

Oui oui oui, carrières ! Ce sont des carrières ! Carrières ! Merci de ne plus parler de catacombes… Est-ce que j’appelle ma cuisine « local à poubelle » parce que j’y ai installé une poubelle ?

Bon, j’admets quand même me battre contre des moulins à vent vu que les passionnés qui s’y faufilent en douce se surnomment « cataphiles » :p

Si des carrières existent à Paris/Lutèce depuis l’époque gallo-romaine, ce n’est qu’à partir du XIIème siècle que l’exploitation devient souterraine. Pour résumer brièvement l’époque médiévale : on creuse, on creuse, on se rend compte que ça fragilise le sol en surface, on étaye, on creuse, on creuse, bref vous avez l’idée !

Carte des exploitations minières souterraines de Paris, par Emile Gérards, publié en 1908.
Carte des exploitations minières souterraines de Paris, par Emile Gérards, publié en 1908.

Un immense réseau, surtout situé au sud de la Seine, voit le jour.

Ces exploitations assez anarchiques (même si un tas de règles doivent les encadrer en théorie) et les multiples effondrements qui en découlent vont conduire le pouvoir à créer en 1777 un service dédié à la surveillance et à la consolidation qui existe encore de nos jours : l’Inspection des Carrières.

Des cartes sont dressées, plus ou moins claires et complètes. Des éléments de signalisation sont également posés peu à peu, il faut bien ça au moins pour s’y retrouver, même si cela ne suffit pas toujours tant par le passé que récemment.

Ce ne fut pas la fin des problèmes, puisque l’on continua à creuser sous Paris et même des projets officiels comme le métro rencontrèrent leur lot de mauvaises surprises.

8 novembre 1915 : Accident place de l'Alma : affaissement du sol suite au travaux d'aménagement de la ligne de métro - BNF
8 novembre 1915 : Accident place de l’Alma : affaissement du sol suite au travaux d’aménagement de la ligne de métro – Gallica/BNF

L’espace dégagé par les carrières fut bien évidemment utilisé de nombreuses manières au fil du temps. Espace de stockage, réseau d’entretien des sols, installation de bunkers et d’abris durant les guerres, les carrières sont surtout connues depuis une cinquantaine d’années pour les ballades, fêtes et autres projections souterraines qui y prennent place, illégalement toujours. 😉

Pour plus d’informations et d’images sur cette partie cachée vous pouvez aller voir l’article du nouvel Obs (7 anecdotes), cet article de blog (anglais) en 3 parties (plein d’illustrations intéressantes) ou la vidéo-montage proposée ici.

Les catacombes de Paris que l’Office de tourisme propose à la visite sont en fait un ossuaires assez récent (~1785) où on été rassemblés les restes de divers cimetières parisiens intra-muros qui saturaient et même débordaient littéralement, devenant un risque majeur pour la santé publique.

Ossuraire municipal Paris
Ossuaire municipal Paris

C’est l’idée d’utiliser une partie des anciennes carrières souterraines dont nous avons parlé plus haut qui, par analogie avec les catacombes italiens (remontant elles aux premières années de la chrétienté) qui leur fit prendre le nom abusif de « catacombes de Paris » dans le langage courant. D’abord entreposés pêle-mêle, les os furent ensuite rangés dans une esthétique macabre attirant par là même dès les années 1800 des visites publiques.


2) Les tunnels du Kirchberg à Luxembourg

Le 21 mai 2016 se déroulait en Europe la nuit des musées. Comme le Luxembourg a l’air de vouloir ne pas faire comme les autres, c’était ici tout un week-end d’ouverture gratuite des musées !

Pour l’occasion, de nombreux événements étaient organisés et c’est au détour d’un programme que nous avons découvert l’existence de visites des forts et de souterrains situés sous le sol du plateau du Kirchberg, quartier en périphérie de Luxembourg où se situent une grande partie des institutions européennes et d’antennes locales des banques et autres fiduciaires internationales.

Un brin de contexte :

La ville de Luxembourg a été durant la grande majorité de son histoire une forteresse de premier plan disputée par les royaumes adjacents, passant par à peu près toutes les mains des royaumes voisins. Cela a donné pas mal d’installations défensives et de transformations à chaque changement de propriétaire.

Souterrains, le mot avait suffit à me motiver (vous connaissez un des mots-clés pour me faire venir maintenant) mais je dois bien avouer que je ne savais pas trop à quoi m’attendre.

Rendez-vous pris devant le musée des trois glands (ou Dräi Eechelen) alias la Forteresse, alias Fort Thüngen pour découvrir tout cela avec de sympathiques membres de l’association Frënn vun der Festungsgeschicht Lëtzebuerg, ou pour ceux qui ne parlent pas luxembourgeois couramment : les amis de la Forteresse de Luxembourg 😉

Ce diaporama nécessite JavaScript.

Armés de nos lampes et casques nous voilà partis pour traverser les casemates d’abord du Fort Thüngen.

Fort Thüngen et MUDAM

Une fois finie, un peu plus loin dans la forêt qui entoure le parc, la visite se poursuit par les tunnels reliant le fort Niedergrundwald au fort Olizy (il y a des coins à champignons, là c’est un coin à forts, que voulez-vous que je vous dise…).

Tunnels Kirchberg

Le passage que nous empruntons, si j’ai bien retenu les explications de nos guides, est en fait percé à travers un mur de contre-escarpe, totalement enterré maintenant, et ressort à notre grande surprise au beau milieu de l’axe routier principal traversant le plateau…

Sortie tunnels Kirchberg

C’est une vision assez surréaliste, après avoir erré dans le noir et le silence pendant des centaines de mètres sous terre dans un tunnel à même la roche que de ressortir à deux pas des institutions européennes et des foules de travailleurs en costumes impeccables.

Une visite à la fois intéressante et surprenante que je recommande chaudement ! Pour voir les dates et modalités, c’est par ici : FFGL activités.

NB : il n’y a pas que sous le Kirchberg que le sol regorge de vestiges, même en pleine ville il y a de quoi faire.


3) Les caves de Provins

Si l’Office de tourisme de Provins ouvre à la visite ses « souterrains », il faut bien admettre que c’est un raccourci (marketing et tout à fait compréhensible) pour parler d’un réseau de quelques caves qui ont été reliées entres elles par la force des choses.

France-Album 1893-94, Provins, la ville haute (vue prise du rempart d'Aligre) - Gallica/BNF
France-Album 1893-94, Provins, la ville haute (vue prise du rempart d’Aligre) – Gallica/BNF

En effet Provins a été l’une des plus grandes places de commerce d’Europe lorsque s’y tenait deux fois par an l’une des foires de Champagnes. Sa population aurait même atteint les 80 000 âmes soit presque 8 fois plus qu’actuellement.

Atteignant leur apogée à la fin du XIIIème siècle, ces rassemblements attiraient des marchands d’Italie comme de Flandres dans ce qui était à l’époque une grande ville drapière et ce dernier point n’est pas anecdotique !

Pour faire des draps de bonne qualité, il était nécessaire nécessaire de les frotter avec une terre extraite sur place : « la terre à foulon« . Vous le voyez peut-être venir : c’est notamment en creusant sous les maisons pour cette terre, ainsi que pour créer des espaces de stockage pour les marchands bien sûr, que furent crées tout un tas de caves.

Cave Provins sortie souterrains

Certaines sont immenses et d’autres bien plus réduites mais globalement il faut imaginer l’équation suivante : 1 maison de marchand = 1 cave. Si vous avez bien suivi jusque-là vous vous souviendrez que c’est le commerce qui fait vivre la ville durant l’époque médiévale, je vous laisse donc en déduire le nombre de caves possibles…

Au fil du temps certaines furent comblées, d’autres percées pour communiquer avec les voisines et ainsi de suite : de caves séparées on passe à des souterrains. Les aléas de l’histoire en feront des endroits avérés de réunions secrètes de la loge de franc-maçons de Provins (c’est un mot-clés jackpot pour attirer du monde « franc-maçons » non ?) dont on peut voir des dessins sur certains murs lors de la visite.

Diplôme de maçon, 1849
Diplôme de maçon, 1849

Une petite salle du musée d’histoire local est d’ailleurs consacrée à cette fraternité qui fait si régulièrement la une de certains journaux.


C’est la fin de ce petit tour sous la surface. Vous pouvez éteindre vos lampes et enlever vos casques.


J’espère que vous aurez apprécié cet article, si c’est le cas n’oubliez pas le guide en pensant à le partager sur vos réseaux sociaux préférés, par pigeon voyageur ou tout autre moyen de votre choix.

Comme d’habitude, les commentaires n’attendent que vous 😉

Merci d'avance !

Afin que cette zone d'expression soit intéressante pour chacun voici quelques règles :

  1. Lire l'article (rédigé avec amour) et pas simplement le titre, mais personne ne fait ça 😉 n'est-ce pas ?
  2. Indiquer un nom ou un pseudo (pas de mots clés pour le référencement).
  3. Renseigner si vous le souhaitez, votre site principal ou un profil de réseau social.
  4. Rédiger un commentaire dont vous n'aurez pas honte dans 10 ans...

Petit bonhomme cliquable pour signaler une faute, une erreur, un bug...Pour signaler des coquilles, bugs, erreurs bêtes et autres choses du même acabit, merci de privilégier un message via le formulaire de contact en cliquant sur le petit bonhomme 🙂

5 commentaires sur “Souterrains : entre légendes urbaines et réalité

  1. J’ignorais que tu avais des origines templiardes, aussi j’attends avec impatiente une visite guidée légale du sol Luxembourgeois et pourquoi pas une excursion subtile sous la chapelle médiévale 😉

    1. Hey ! Content de te voir par ici 😉

      Pour les origines templiardes, disons que si ça fonctionnait comme ça, vu le nombre de commanderies et autres chapelles reliées, beaucoup d’entre-nous en auraient aussi !
      Pour la visite guidée on va croiser les doigts et se dire que ça sera bientôt…

    1. Je n’ai pas le plaisir de connaître ce château mais quelques salles installées dans la roche si elle est tendre n’est pas impossible 😉 parfois ce qui se redécouvre avec envie servait aussi tout simplement de décharge/débarras mais ça laisse moins rêveur (même si c’est tout aussi instructif).
      Merci pour ton commentaire !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *