Saviez-vous qu’en plus des camps de concentration et d’extermination, l’Allemagne nazie avait également ajouté des camps « spéciaux » à la liste ? Le dernier encore debout se trouve en France, non loin de Metz. Le fort de Queuleu dit aussi fort Goeben, marqué par plus de 75 ans d’histoire militaire, est ouvert grâce au travail acharné d’anciennes victimes et de passionnés d’histoire. J’ai découvert les lieux et une partie de leur histoire lors d’une étape récente à Metz, grâce à Caroline et Laura que je remercie au passage, et ai très vite eu l’envie voire même le besoin de vous en partager les grandes lignes…
De Napoléon III à Hitler
Dire que ce fort a eu plusieurs vies est un euphémisme. De sa construction à nos jours, il aura changé de mains de nombreuses fois, rarement pour le meilleur mais bien souvent pour pire…
Comme cette partie de ping-pong locale est quelque chose de rapidement enseigné ou que c’est peut-être très loin dans votre mémoire, je vous donne quelques points essentiels du contexte historique.
Metz est située dans une région frontière qui a été le théâtre régulier d’affrontements pour son contrôle par la France ou ses voisins. Elle a donc une longue tradition militaire et de grands fans, ce que vous prouve le doc suivant :
Pourquoi un fort à Queuleu ?
Vouloir attaquer son voisin pour lui piquer sa ville n’est pas nouveau. L’art d’assiéger et de défendre porte même le petit nom de « poliorcétique« . Avec les progrès technologiques, on apprend à attaquer de plus en plus loin à l’aide de machines (trébuchet et Cie) puis d’artillerie lourde à poudre. Problème : si on peut casser les défenses de la ville depuis un abri au loin alors les dîtes défenses ne servent plus à rien !
La solution adoptée au début des machines de sièges consistait à construire différentes enceintes toujours plus éloignées, mais il faut se rendre à l’évidence : ça coûte des sommes colossales, les villes ont une fâcheuse tendance à dépasser à l’extérieur des murailles et niveau efficacité c’est très relatif.
La nouvelle technique qui se démocratise en Europe aux XVIII et XIXème siècles consiste à créer un réseau discontinu de forts en périphérie des villes à protéger. C’est le cas de Metz, comme vous pouvez le voir en observant les alentours de la ville sur la carte ci-dessous :
Ping- Napoléon III – France
Dans les années 1870, le principal adversaire de la France, dirigée alors par Napoléon III, était un ensemble d’états indépendants que l’on désigne maintenant sous le nom d’Allemagne. S’il peut être tentant de rapprocher ces états des Länder actuels, pour l’anecdote, ce sont les Soviétiques et Américains qui les ont installés en 1945, sans vraiment se préoccuper des délimitations antérieures…
Comme toujours, un état avait plus d’influence que les autres : ici, c’était la Prusse. D’où le nom de guerre franco-prussienne qui résonne peut-être dans un coin de votre tête.
Malgré les forts construits un peu partout, Napoléon III, venu a Metz avec son petit n°IV de 14 ans pour diriger tout ça, se fait battre à plates coutures. Sa famille va vite prendre la poudre d’escampette (quota expressions rempli) pour l’Angleterre où une fois libéré, l’ex-empereur des Français la rejoindra peu avant de mourir.
Pong – Bismarck – Allemagne
Une fois l’invasion terminée en 1871, l’Allemagne s’unit dans une monarchie parlementaire qui prendra le nom d’Empire allemand ou IIème Reich, tandis qu’en France, c’est le tour de la IIIème République. Assez cocasse comme basculement vous ne trouvez pas ? Presque un échange.
Metz, déjà fortement marqué par les aménagements militaires (plan), devient une des plus grosses places militaires du Reich et d’Europe.
La légendaire efficacité allemande passe par là : le fort de Queuleu se voit renommé fort Goeben, du nom d’un héros de guerre, et de nombreux travaux sont réalisés, tant purement militaires que logistiques et sanitaires.
Et bim, 1ère Guerre Mondiale… Metz étant alors côté allemand et le front plus à l’Ouest avec la gigantesque boucherie de Verdun (centenaire cette année), le fort est plutôt épargné par les combats et sert surtout pour la logistique.
L’Alsace-Lorraine restait le territoire perdu, arraché à la mère patrie, du moins dans l’imaginaire collectif entretenu sciemment par le gouvernement et les médias français (un feuilleton sur la guerre de 1870-71 et bataille de Metz publié dans le journal La Croix en 1915).
Ping- Traité de Versailles – France
Vous imaginez donc que lorsque le traité de Versailles entérine le rattachement, c’est la fiesta !
Enfin, pas forcément sur place…
C’est que les gens avaient appris à vivre et à commercer tant bien que mal avec le reste du Reich et plus de 200 000 Allemands avait émigré dans les nouvelles terre conquises. Autant de personnes qui repartiront aussitôt avant de revenir pour certains grâce à des accords.
Pour les exilés français qui avaient fuit l’annexion de 1871, c’est une grande nouvelle. Ils peuvent enfin revenir, 47 ans plus tard, une vie entière pour beaucoup.
Tout n’est pas rose législativement parlant non plus. La loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 ainsi que d’autres ayant été promulgués pendant que ces territoires étaient occupés, il a donc fallu bricoler un truc pour ne pas trop échauffer les esprits : cela a donné un droit local différent du reste de la France, fait qui n’est pas forcément si connu hors des zones concernées !
Mais je m’égare…
Donc le fort de Queuleu/Goeben redevient français, mais vous connaissez la suite, ça ne dure pas.
Pong- Hitler – Allemagne
Un certain moustachu très énervé et aux idées bien extrêmes décide de se faire un IIIème Reich et puis tant qu’à faire, de reprendre les terres occupées lors du second : paf, invasion de la France.
Le temps que la France a passé à tenter de repousser l’avancé inexorable de l’armée allemande, les installations de Queuleu furent utilisées comme base arrière de la ligne Maginot, encore une fois plutôt à l’abri de la ligne de front, mais dès juin 1940 le fort tombe aux mains des nazis.
Je vous propose maintenant de ralentir un peu le fil du temps pour mieux comprendre ce qu’il s’y est passé.
Le camp spécial
Entre juin 1940 et 1943, l’annexion de l’Alsace et de la Moselle (oui, encore) se fait non sans heurts et les arrestations d’opposants s’enchaînent.
En 1941, le tristement célèbre camp de concentration de Natzweiler-Struthof est construit et sera la fin du chemin pour des milliers d’opposants, mais nous y reviendrons plus tard.
Metz, alors considérée comme ville allemande, voit s’installer sa section de la Gestapo qui se charge de maintenir l’ordre en brisant toute insurrection et trace de résistances. Problème : les interrogatoires en pleine ville sont tellement brutaux qu’ils deviennent vite gênants (pour les oreilles des beaux quartiers paraît-il).
C’est là que revient en scène le camp de concentration de Natzweiler-Struthof. Celui-ci ouvre des annexes (Kommandos) qui sont autant de camps de travaux forcés et le fort Queuleu/Goeben en fait partie.
La Gestapo vit l’occasion de déménager ses actions dans un lieu plus discret et sécurisé en s’appropriant une partie du fort et particulièrement la casemate A qui deviendra le centre d’interrogatoire à la chaîne de la zone ou SS Sonderlager.
Soyons clair : « interrogatoire » est ici synonyme de tortures. L’idée est autant de soutirer des informations aux résistants que de les briser mentalement et physiquement.
Quelques points à savoir pour comprendre l’univers dans lequel les prisonniers évoluaient :
- dès leur transfert ils se voient privés de la vue avec un bandeau qu’ils doivent garder en permanence autour des yeux ;
- les pieds et mains sont attachés de manière à pouvoir à peine bouger ;
- durant la journée les détenus retenus dans les chambres communes doivent rester assis toute la journée sur un banc (toujours les yeux bandés) et la tête tournée vers l’entrée ;
- quand le responsable du camp est présent les prisonniers n’ont pas accès à de quoi se laver et ils ne pourront le faire que lors de ses rares absences par autorisation de son adjoint pour soulager les soldats des odeurs et limiter les maladies ;
- 36 morts ont été recensées et ont chacune fait l’objet d’un dossier remontant la chaîne administrative. Une fois les incidents notés, une visite de contrôle était déclenchée, laquelle ordonnant une amélioration du traitement des prisonniers car celui-ci ne correspondait pas aux standards allemands (hors extermination)… lourd de sens ;
- outre des résistants, on trouve aussi des soldats (enrôlés de force) ayant fui le champ de bataille, des réfractaires ou quand on ne les retrouve pas, des otages notamment leurs jeunes sœurs pour faire pression sur les familles…
N’étant pas un camp de concentration, les prisonniers sont sensés aller ailleurs et peuvent atterrir dans des camps tels que le camp de concentration de Natzweiler-Struthof (le revoilà donc) où ils sont tués à la tâche ou subissent parfois des « expériences médicales » sordides… De nombreux opposants de toute l’Europe seront tués après être passés par des étapes similaires à celles décrites dans ces deux camps, dans le cadre d’une vaste opération désignée par le nom de code « nuit et brouillard ».
Réussir à sortir vivant du fort de Queuleu n’est donc pas forcément la fin des souffrances.
Ping – l’après-guerre – France
L’Histoire peut être d’une cruelle ironie.
Si vous en doutiez encore, sachez que :
- le commandant du fort, condamné à mort par contumace en 1951, sera retrouvé plus tard officier de police en R.F.A. et n’échappera à toute poursuite que grâce à l’argument suivant : « les témoins affirment avoir eu les yeux bandés tout le temps, comment peuvent-ils reconnaître le coupable ? » On croirait le scénario d’un mauvais film…
- le fort a été utilisé de 1944 à 1946 par les Américains comme « centre de séjour surveillé » (appréciez la nuance) pour les Allemands et personnes jugées dangereuses (étrangers, collaborateurs avérés…). Ce sont plus de 8 000 prisonniers qui y « séjourneront » et que leurs familles viendront visiter.
Autant dire que c’est un lieu qui aura marqué plusieurs générations.
Le travail de mémoire
Ce fort est devenu un monument au sens étymologique du terme (du latin monumentum, dérivé du verbe moneō « se remémorer ») et est aujourd’hui indissociable du mémorial de la Résistance et de la Déportation placé à l’entrée du site.
Avec les arbres et constructions autour, le parc et le parcours de santé à l’intérieur de l’enceinte, la vie a repris un cour plus tranquille sur place mais en partie au détriment de la mémoire. Le lieu a été vandalisé à de nombreuses reprises et n’est encore que peu mis en avant dans les visites à faire localement.
Sans les associations, lancées par d’anciennes victimes et leurs familles dont les témoignages ont été enregistrés par des bénévoles (État, Drac et cie où êtes-vous ?), le fort ne serait même pas ouvert et encore moins en état d’être visité. Un très grand merci à eux d’empêcher cet épisode tragique de tomber dans l’oubli.
Tout ça c’est loin… ou presque ?
En conclusion, je ne peux m’empêcher de reprendre la remarque faite par notre guide : il ne faut pas oublier que le nouveau (2009) Centre de rétention administrative (CRA) de Metz-Queuleu (comme vous pourriez le deviner au nom) est juste à côté avec ses 98 lits et 3 hectares. Hasard de l’Histoire ?
En tout cas, les manquements à la dignité humaine continuent si l’on en croit ce rapport de 2010 du contrôleur général des lieux de privations de libertés (site web).
Merci d'avance !
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