Cet article prend la suite du premier billet que je vous invite à découvrir si ce n’est pas déjà fait.
Histoire de commencer par un hors-sujet ou presque, je voudrais vous rappeler que ce n’est pas parce que l’on s’intéresse ici aux représentations du sport et des sportifs que ces activités elles-mêmes sont dénuées d’images. En effet, il n’est pas rare que les outils entourant la pratique puissent être eux-mêmes décoratifs ou vecteurs de sens. Pensez au choix des couleurs, au design des maillots et des logos par exemple…
Un cas encore plus concret ci-dessous :
Un autre moyen de se distinguer
Dans la filiation des tournois médiévaux où certains nobles venaient uniquement pour regarder et non participer, des rendez-vous se mettent en place pour que l’élite se retrouve autour d’une épreuve sportive. Les plus fameux et impressionnants demeurent sans doute les courses hippiques.
Il faut dire que l’habitude de parier sur le vainqueur aide à devenir accro et finit par ouvrir ces compétitions à une frange moins « empruntée » de la population.
C’est ce choc entre les milieux aisés et les « petites gens » que nous propose avec brio le film My Fair Lady en 1964. Dans une scène, le personnage joué par Audrey Hepburn, simple marchande de fleurs cherchant à s’intégrer dans les milieux aisés, voit son masque se fissurer à la fin d’une course au prestigieux hippodrome d’Ascot : le naturel revenant au galop (vous l’avez ?), elle ne peut s’empêcher de reprendre son attitude normale bien plus passionnée que ce qu’il est correct de faire en « bonne société » 😉
Je rempile avec une anecdote sur l’histoire du film qui est bien plus relié à notre thématique qu’on pourrait le penser au premier abord. My Fair Lady, avant d’être ce film célèbre, fut une comédie musicale américaine montée en 1954. L’histoire ne commence pourtant pas là puisque tout est basé sur la pièce Pygmalion écrite par George Bernard Shaw en 1912 et qui connut elle-même une version cinématographique en 1938. Une simple histoire de plagiat après la mort de l’auteur ? Un peu de oui et un peu de non puisque si la trame en est vraiment similaire, de nombreuses scènes sont différentes, la course n’apparaît qu’avec My Fair Lady par exemple, et surtout la fin pessimiste de Shaw est modifiée pour une fin heureuse dans la grande tradition du happy end explicite que l’auteur original dénonçait justement… Une des idées derrière Pygmalion était que l’on peut faire illusion, s’élever dans la société à force de travail et d’effort, mais qu’il ne faut pas oublier les réalités économiques qui restreignent les possibilités.
Là où je vais retomber sur mes pattes, c’est que le sport-spectacle où s’invitent les paris peut être quelque chose d’amusant quand on a les moyens de perdre, mais créer aussi de véritables spirales d’endettement pour les travailleurs pauvres qui s’y risquent (loto, bingo ou quinté… le casino est toujours gagnant). De nombreux films font d’ailleurs référence à cette dépendance qui a pignon sur rue dans certains pays dont le Royaume-Uni, mais aussi au PMU en bas de chez vous.
Après cette note un brin déprimante, je vais tenter de vous redonner l’envie de rêver.
L’émergence du sport moderne et des célébrités
Il y a les sports « classiques » (liste non exhaustive) :
- cyclisme
Le cyclisme a vraiment connu une popularité énorme dès l’apparition des bicyclettes modernes, il n’y a qu’à voir les vélodromes qui se sont construits en peu de temps et surtout le fait que la discipline fut au programme des premiers Jeux olympiques modernes, en 1896.
Sur la photo ci-dessus les noms des différents coureurs nous sont donnés. Je me suis donc amusé à chercher si leur mémoire s’était perpétuée. Je suis rapidement tombé sur un certain Arthur Linton, au patronyme identique, coureur cycliste qui décéda peu de temps avant la course que vous voyez là (1868-1896), peut-être d’un problème suite à l’absorption d’un produit dopant. Ce n’est pas notre homme, malgré tout cela me permet d’évoquer l’ancienneté des ravages du dopage.
Tom Linton prêt à s’élancer en 1903 est suffisamment connu en son temps pour figurer sur une des cartes Félix Potin. Si cela ne vous dit rien, je suis persuadé que vous avez déjà entendu parler de son descendant spirituel ou plutôt commercial : Panini.
Les cartes Potins sont en fait des photographies relativement standardisées de personnalités contemporaines (politiques, artistes, sportifs…) accompagnées d’une petite biographie. Vous les obteniez en achetant une tablette de chocolat de la marque en question. Cette incitation à la collection fut couronnée de succès et déclinée par tant d’entreprises depuis… La maison d’édition italienne a gardé le principe de la collection, mais pas le chocolat ! Tout ça pour dire que parmi nos quatre pros de la pédale figure au moins un nom connu de ceux qui pouvaient s’offrir de croquer un carré ou deux de cacao….
Je vous laisse chercher les trois autres si vous le souhaitez, peut-être ont-ils des histoires tout aussi étonnantes !
- la natation
Un brin moins aseptisé que maintenant, non ? J’aime particulièrement la diversité des manières de plonger adoptées par les concurrents !
- la boxe (française alias savate)
Démonstration d’un certain Carterès et de son élève Tampier. La photographie ne sert pas qu’à illustrer les matchs et l’on trouve nombre de ces photographies presque documentaires. Peut-être moins spectaculaire qu’une confrontation jujitsu contre méthode française force est de le constater, par contre au moins on a de quoi voir les différentes techniques, pas comme une bagarre de 26s !
Des sports disparus ou qui ont évolué
Avant le roller-derby et sa forte présence féminine a existé un autre sport sur roulettes : le skating-polo.
Je continue avec une version féminine de moto… euh tricyclique à moteur ?
Les plus féministes d’entre vous se diront peut-être que mettre trois roues pour les femmes est quand même sacrément macho. Rassurez-vous ! Il n’y a pas qu’elles qui conduisent des véhicules à trois roues (souvent appelées motocycles tout simplement, au contraire des bicyclettes). C’est même un choix existant tout à fait normal à côté des deux ou quatre. Il faut dire que cela assure une stabilité supplémentaire qui dans certains cas n’est pas de trop. Constatez vous-mêmes :
Pour ceux qui comme moi l’ignoraient, le polo à bicyclette est un sport qui se pratique encore de nos jours apparemment.
Au moins l’automobile, ses quatre roues et son moteur qui sent bon l’essence mal brûlée, c’est un classique sûr. Quoique…
Vous avez bien des concours pour les véhicules solaires actuellement alors pourquoi pas une catégorie véhicules à alcool ? J’attire votre attention sur la description de la photographie de droite où notre photographe s’est amusé à caser une petite blaguounette discrètement via un jeu de mot bien trouvé ma foi.
Le sport féminin : une existence longtemps remise en question
Après toutes les autres photographies d’athlètes féminines montrées jusque-là et même s’il est facile de voir une belle métaphore du passage de relai entre les premières sportives reconnues et notre temps, je ne voudrais pas cependant contribuer à masquer le fait qu’il faudra attendre au moins les années 1970 (voire après selon les pays) pour que l’on commence à considérer aussi normal pour chacun des sexes de vouloir transpirer pour le plaisir.
S’il n’y a qu’un passage à lire absolument c’est celui-ci :
Près de 20.000 personnes se pressaient hier au Stade Pershing pour assister aux premiers Jeux olympiques féminins. Evidemment quelques hommes, qui croient que le mot olympique est strictement masculin, n’étaient pas très contents, mais s’ils avaient été là ; ils l’auraient été moins encore en se rendant compte du succès extraordinaire remporté par cette réunion autant du côté des performances que du côté des spectateurs.
Vous pouvez voir à la fin de cette coupure de presse le portrait de Mlle Bréard, recordwoman du monde des 1000 mètres qui mettra fin à sa carrière après son mariage.
Outre la respectabilité et la pudeur, l’argument santé, arguant de risques physiologiques pour les femmes particulièrement en matière de procréation, est régulièrement mis sur le tapis (notamment par le régime de Vichy) comme un repoussoir et un bon prétexte pour garder la société dans des rôles cloisonnés.
Le sport et la diversité ethnique
Je me voyais mal passer sous silence cet aspect après mon évocation de la cause féministe. Je ne sais si son cas est vraiment représentatif, mais je voudrais m’appuyer sur les portraits du coureur cycliste américain Major Taylor qui sont présents dans les photographies sportives de Jules Beau dont je vous ai montré tant d’exemples.
Ici nous pouvons le voir dans des clichés tout à fait similaires à ce que l’on trouve pour Tom Linton et autre Roger Rivière.
Outre les classiques portraits « cyclistes », il est également montré pour sa musculature de la même manière qu’on le voit pour des boxeurs et jamais de ce que j’ai pu voir pour un cycliste blanc. Est-ce à sa demande ? La photo de gauche très calme et à l’expression neutre laisse penser que ce n’était pas particulièrement par vantardise. Une différence de traitement du coup ? Peut-être. Il semblerait cependant que ce grand champion US ait été accueilli globalement bien mieux à l’étranger et notamment en Europe que dans son propre pays où il a constamment souffert du racisme ambiant.
Son statut d’athlète de première catégorie et de champion du monde l’a sans aucun doute protégé lors de ses voyages. Le quotidien des sportifs amateurs de couleur en France peut difficilement lui être comparé.
Racisme et sport est probablement surtout une question de société au sens large et je ne m’aventurerai pas plus loin…
Les mouvements autour de la santé à la fin de la révolution industrielle
Avec l’avènement de la révolution industrielle et des villes de plus en plus polluées et peuplées sont arrivées des pensées hygiénistes. Cela pouvait avoir des effets concrets dans le paysage, tels que la destruction de quartiers entiers que l’on jugeait insalubres (souvent à raison même si raser leurs abris n’aidait pas leurs occupants), mais également dans ce que l’on va désigner comme « l’hygiène de vie » (expression qui semble apparaître au tout début du XXème siècle). Il faut cependant remonter à l’époque des Lumières pour voir les prémices d’une sorte d’éducation sportive populaire dans le but d’obtenir un corps aussi affûté que son esprit.
Vous pensez peut-être d’ailleurs au fameux Mens sana in corpore sano (~ »un esprit sain dans un corps sain »). Je vous arrête tout de suite, il est systématiquement détourné du contexte initial de la citation de Juvénal (comme l’explique bien Estelle Debouy dans IPSE DIXIT!) et n’est pas un impératif à atteindre mais la seule chose qu’il est raisonnable de souhaiter… Nuance de taille, non ?
Cela prit particulièrement racine dans les contrées germaniques, avec le mouvement gymnique allemand, devenant quasiment un trait identitaire qui sera exploité d’ailleurs lors des périodes fortement nationalistes et étroitement associé à l’entrainement du futur soldat et ce dans la plupart des pays.
La presse spécialisée
Avec le boom de la presse écrite autour des années 1900, on trouve des comptes rendus sportifs dans beaucoup de journaux.
Certains parlent de nombreux sports sur quelques feuilles à peine illustrées (ce qui n’empêche pas les petites pépites).
Comme vous le voyez ce n’est pas toujours sans un certain sens de l’autodérision…
D’autres rédactions éditent pour des secteurs très précis.
De véritables magazines se créent avec les pratiques sportives comme unique thématique.
Je vous invite à parcourir tout particulièrement La Vie au grand air : revue illustrée de tous les sports, véritable coup de cœur, qui paraît entre 1898 et 1922, avec des articles de fond et plein de rubriques remplies de choses plus croustillantes et étonnantes les unes que les autres.
Quelques exemples rien que dans le premier numéro :
Les mises en page sont souvent inventives et les couvertures acquièrent progressivement, surtout à partir de 1904, un style qui n’a rien à envier aux célèbres unes du Times à mon goût.
Quelques exemples à nouveau rien que pour 1904 :
La plupart des illustrations de cet article sont issues de Gallica, mine d’or pour les curieux où l’on trouve tellement de trésors !
Que vous soyez du genre à vouloir en baver à gravir les cols alpins à vélo pour le plaisir, à vous entraîner pour votre prochain tournoi d’échecs, à soulever des poids comme un forçat ou plutôt simple spécialiste du creusage fessier de canapé, vous en saurez maintenant un petit peu plus j’espère sur comment l’on pouvait présenter nos ancêtres faisant de l’exercice…
Merci d'avance !
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Merci à vous d’avoir pris le temps de me le dire !
Je suis content si cela vous a intéressé au point de parcourir plusieurs billets.
Au plaisir d’avoir votre retour sur d’autres articles futurs peut-être ? 🙂