Si je vous dis que tous les films et photos en noir et blanc sont anciens, vous me direz que c’est faux puisque tous les appareils modernes savent le faire également. Pourtant force est de constater qu’il s’agit d’une association réflexe tellement ancrée et omniprésente que cela perturbe même certains enfants qui se mettent à croire que le monde était sans couleurs à la grande époque du N&B…
Je préfère en rire maintenant mais les premières fois qu’on l’entend, ça laisse pantois !
La vérité bien sûr est un peu plus complexe, mais n’est-ce pas un monde plutôt terne que l’on imagine bien souvent en pensant à ce que nous ont laissés nos ancêtres ?
Hormis les tableaux, vitraux et tapisseries (quand elles ne sont pas totalement décolorées), bien peu de couleurs sont visibles sur les grandes œuvres de nos musées ou sites patrimoniaux.
Et pourtant ! De plus en plus de chercheurs et responsables de la mise en valeur du patrimoine mettent en avant le faste chromatique perdu ou sous-estimé d’un passé parfois haut en couleur.
Je vous propose donc un petit tour non exhaustif mais j’espère assez diversifié de la couleur là où on l’a oubliée.
Statuaire et architecture antique gréco-romaine
Si la représentation que vous vous faites de la statuaire antique ressemble à cette salle :
ou à cette Corè…
… attendez-vous à un choc.
Préparez-vous psychologiquement.
Sortez vos mouchoirs et du collyre.
Car voici la vérité (ou du moins des hypothèse bien étayées) :
Oui ma technique pour faire monter le suspense en sautant des lignes est artisanale et pas d’une discrétion folle puisque tout le monde s’en rend compte d’autant plus que je l’explique moi-même avec ces lignes qui me permettent toujours de gagner encore un peu plus d’espace. On fait avec les moyens du bords. 😉
Ah, oui, la suite !
TADAAAAAAA….
Ces illustrations sont sensées représenter les dernières avancées du travail de l’archéologue allemand Vinzenz Brinkmann qui s’est penché, comme vous l’avez sûrement deviné, sur la polychromie antique.
La vidéo ci-dessous en montre davantage et surtout ajoute un brin de relief en tournant autour des œuvres.
Une autre statue très célèbre a été l’objet de plusieurs propositions de « recolorisation ». La dernière en date semble avoir été montrée à l’occasion de l’édition 2014 du festival espagnol Tarraco Viva, dédié à la culture antique et à l’héritage romain.
Augustus de Prima Porta vous salue.
Quand les premiers spécialistes modernes de l’art grec antique faisaient la moue face aux récits de voyageurs qui leur racontaient qu’ils avaient vu de nombreuses traces de couleurs sur les temples et statues, je ne sais pas pourquoi, j’ai quand même du mal à les en blâmer. Dur de passer à la version colorisée sans avoir l’impression de perdre une partie de la qualité esthétique de l’œuvre alors que pourtant c’est bien celle-ci qui se rapproche le plus a priori de son état initial et donc de l’intention de l’artiste. Démarche scientifique et historique ou valeur esthétique subjective calquée sur nos références culturelles ? Heureusement qu’il n’y a pas de choix à faire.
Vieilles églises catholiques
De nos jours, quand on franchit les portes d’une cathédrale ou d’une église catholique avec quelques siècles au compteur, la sobriété est généralement de mise côté couleur : comprendre pierre apparente ou crépis/enduits ternes.
– Stop ! Moi, j’ai lu tous les articles et tu te trompes, tu as déjà utilisé ici une photo d’église bretonne avec une voûte toute bleue !
Comme me le fait remarquer cet intervenant imaginaire qui me sert à caser ces voûtes bleues que j’adore, dans certaines régions, de nombreux plafonds peints apportent une touche de couleur assez marquante, mais une fois que l’on baisse les yeux, celle-ci disparaît.
Question extérieur, c’est plutôt du même acabit surtout sous nos latitudes.
Petit point contextualisation parce que c’est toujours important le contexte…
Si je précise dans le titre de cette section « églises catholiques », cela vous a peut-être fait tiquer d’ailleurs, c’est qu’il y a différentes traditions selon les branches de la religion chrétienne. Vous vous doutez bien que tout cela ne s’est pas fixé en un jour… c’est rarement le cas.
Il y eu notamment aux VIII et IXème siècles, du côté de l’empire Byzantin (la grosse puissance chrétienne de l’époque) de grandes oppositions théologiques.
Le camps des « J’aime les dessins c’est plus chouette et ça m’aide à prier » affronta celui de « Les images mènent aux idoles, c’est le chemin vers le MAAAAL » pour dire les choses en détourant à la truelle les contours du problème.
Cela n’a pas été une simple bataille de religieux à coups de lettres (en plus ni les papyrus et parchemins ne coupent autant que le papier alors ils étaient mal partis) mais une opposition globale qui n’allait pas sans son lot de violences, morts et revirements de situation en deux siècles. On nomme généralement cette période par le doux euphémisme de « Querelle des images« .
Côté orthodoxe, il est relativement connu que l’image tient une grande place et que le faste est de rigueur mais l’idée derrière moins. Elle est en fait relativement simple, les personnages bibliques (Jésus, Marie, Joseph en tête) et les saints sont particulièrement important dans le culte orthodoxe car considérés comme intercesseurs, ceux qui font le lien, avec Dieu. Voir leur image dans l’église renforce leur existence sur plusieurs plans (terrestre et spirituel) mais ce n’est pas tout.
Avez-vous déjà remarqué les dorures des icônes et des décors muraux ?
Il s’agit ici de symboliser, par sa capacité à refléter, la lumière qui vient d’un autre monde… et oui, rien que cela ! Tout est fait pour se mettre dans une atmosphère propice à la prière et à une « connexion divine » (Li-Fi du coup).
En revanche, côté catholique, je doute que la première image que vous ayez des églises et cathédrales soit un festival de couleurs. Ce n’est pas forcément faux puisqu’il n’y a pas d’uniformité sur deux millénaires, encore moins géographique, mais la recherche tend à prouver que la majorité des édifices étaient colorés.
Toutes ces histoires d’images ou d’absence d’images sont importantes car elles vont conditionner non seulement ce qui va être représenté mais également l’attention que l’on va y porter. Détruire une icône ne va pas avoir le même impact pour un orthodoxe que de peindre une nouvelle fresque sur la précédente pour un catholique à cause de leur rapport différent à l’image.
Des trésors sont parfois derrière le mur
Il arrive régulièrement que l’on retrouve des fresques sommeillant sous des enduits postérieurs. De jolies histoires se cachent parfois derrière les découvertes.
Celles des fresques de la chapelle du château de la Verrerie rassemble (si ma mémoire est bonne) un enfant qui s’ennuyait durant l’office religieux et gratta tant et si bien le mur qu’il découvrit de la couleur derrière…
Souvent, on en soupçonne quand même préalablement l’existence mais sans que les conditions permettent d’espérer grands choses (nombreuses transformations, humidité…).
Les couleurs présentent à l’extérieur en façade n’ont souvent pas du tout supporté les affres du temps et ne subsistent que dans des plis les plus inatteignables de statues encore en place. Les projections sur les façades de cathédrales aussi sympathiques et faites avec soin soient-elles (soin-soient-elles-soin-t-elles-soient brrrr, c’est bien laid comme formule) ne donnent au mieux qu’une vague idée des couleurs qui ont orné ces édifices quand elles n’ont pas purement une vocation ludique.
Heureusement, pour ce qui est des intérieurs, dans quelques cas ce sont des ensembles peints très bien conservés qui sont dégagés.
L’exemple de Poitiers
La cathédrale Saint-Pierre de Poitiers est un de ces bâtiments impressionnant mais plutôt austère dont l’intérieur était en fait peint de superbes décors qui sont peu à peu mis au jour. Gageons que cela donnera l’impression de découvrir un tout nouvel endroit à ceux qui étaient déjà familiers du lieu et qu’il attirera sans aucun doute de nombreux nouveaux visiteurs.
Le service de l’Inventaire du Poitou-Charentes a d’ailleurs une page dédiée aux nombreuses fresques romanes présentes dans son périmètre où elle présente de très belles pièces.
Balladez-vous et poussez les portes
Beaucoup plus d’églises que l’on ne le croit abritent des décors peints.
Bien évidemment, ciblez les églises avec des logos MH, vous savez, celui là :
Parcourir les guides touristiques et taper dans l’église pas trop en ruine mais plutôt anciennes pourrait être également une stratégie payante, mais je dis ça comme ça 😉
- Église Saint-Martin de Chalivoy-Milon
- Église Saint-Martin de Vic
- Chapelle Sainte-Madeleine de Chalet <3
Vêtements
Les vêtements de nos ancêtres n’étaient pas tous d’un brun uniforme façon sac à patates. La principale difficulté pour savoir comment s’habillaient nos prédécesseurs tient à la nature organique des matériaux utilisés pour la fabrication de nos habits : textiles issus de plantes et cuirs d’animaux. En effet qui dit organique dit périssable. Contrairement aux sculptures en pierre, bien peu de tenues anciennes (avant le XVIIème si vous voulez une borne un peu arbitraire) nous sont parvenues ne serait-ce que partiellement.
Il est tout à fait raisonnable d’imaginer qu’une grande diversités de tenues existaient de part le monde, en fonction des cultures, climats et ressources à disposition et cela peu de temps après que l’homme commença à savoir se servir d’outils. Pourquoi ne pas imaginer aussi de la polychromie, ne serait-ce qu’à travers des motifs bicolores.
Un exemple que j’aime tout particulièrement est celui du « plus vieux pantalon du monde » comme le titrait, en 2014, un blog hébergé par Le Monde.
Vous noterez que celui-ci est décoré de multiples motifs géométriques mais aussi qu’il s’agit d’un vêtement bicolore, plus de 3000 ans avant nos jeans neufs vendus déchirés ou tachés (je n’ai jamais compris cette mode #vieuxavantl’heure).
Plus récemment, une couleur a fait le tour du web récemment, c’est l’indigo. Pour résumer l’info : on aurait retrouvé des traces d’utilisation de ce pigment pour teindre un textile remontant à ~6000 ans.
Quelques musées français permettent de découvrir des vêtements plutôt anciens, intéressants et parfois aussi très beaux. Citons par exemple le MTMAD (alias Musée des Tissus Musée des Arts Décoratifs, rescapés abritant des collections pourtant majeures), le musée Guimet ou encore le musée du Quai Branly …
Conclusion : Passé =/= Noir et Blanc
Pour aller plus loin avec un guide d’exception :
Je vous conseille fortement les conférences de Michel Pastoureau en ligne sur le thème « Les couleurs du Moyen-Âge » et disponibles sur le site du musée du Louvre. Elles sont gratuites, très faciles d’accès et passionnantes comme la majorité de ses ouvrages. Vous pourrez y apprendre notamment que le bleu n’a pas toujours été une couleur froide ou qu’il a fallu attendre longtemps avant de faire du vert en osant mélanger deux autres couleurs !
De multiples éléments présentés ici sont d’ailleurs tirés de ces interventions.
Merci d'avance !
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Bravo Mealin pour ce bel article. Tu as un certain talent pour faire « le tour d’une question » en quelque exemples bien choisis. Il y a quelques années (7 !) j’avais vu une expo à Berlin sur les couleurs de l’antiquité… Quel choc ! On trouve ça criard, mais ça ouvre des questionnements intéressants.
Pour voir de belles églises peintes, il faut aller à la cité de l’archi, qui regroupe une exceptionnelle collection de copies des plus belles peintures murales françaises…. J’en parlerai sur Orion, un jour.
Et le coup du pantalon… J’en avais jamais entendu parler, et je suis scotchée 🙂
Sacré compliment, merci !
J’ai toujours l’impression d’avoir survolé le sujet à la fin des décorticages mais après j’essaie de me rappeler qu’il faut tenter de garder ça digeste 🙂
Criard oui et encore isolement, c’est surement un ressenti bien différent des ensembles que cela formait alors.
Oh oui, mais un grand oui pour les « salles aux trésors » de la citée de l’archi. Les jours de grandes chaleurs ou pour un moment méditatif, c’est encore mieux !