Une femme a foulé la Lune de ses pieds et pourtant vous n’en avez pas entendu parler ? C’est normal, ce n’est pas d’une astronaute dont je vais vous parler…
Au passage, sur les trois années (1969-72) où des gens ont fait des bonds de lapins sur la Lune, on ne compte que des Américains, douze en tout et aucune femme. Peut-être pour la prochaine fois ?
Pour en revenir à nos moutons, aucun complot à dévoiler ne se cache dans cet article (désolé si je vous déçois 😉 ), cette approche n’est qu’un prétexte pour vous parler de la vision d’un certain Jean qui écrivit environ 1900 ans avant le premier atterrissage sur la Lune (il parait qu’alunissage est à éviter), à la fin du Ier siècle, un texte marquera considérablement l’imaginaire de l’Occident et par contagion, du reste du monde.
La grande majorité d’entre nous connaît son titre, sans forcément savoir que c’en est un d’ailleurs ou même ce qui se cache réellement derrière : L’Apocalypse.
NB : Il y a bien un film qui nous montre une femme sur la Lune, c’est d’ailleurs de celui-ci qu’est tiré l’image qui illustre le titre, mais il ne s’agit que d’une adaptation d’un roman d’une écrivaine de science-fiction, Thea von Harbou, par Fritz Lang, qu’elle épousa (mariage bref, mais un duo important dans l’histoire du cinéma) !
Révélation lunaire
Dernier livre de la Bible canonique (autrement dit de la version officielle de l’Église catholique), il fait partie du Nouveau Testament, ensemble d’écrits en lien avec la vie de Jésus de Nazareth, ses enseignements et leur transmission par ses disciples, les apôtres.
Les premiers mots en sont aussi le titre « Révélation de Jésus Christ », dont on ne retient généralement que le premier mot, à savoir « révélation » ou en grec « apocalypse ». Tadaaaa…
Aujourd’hui, il est devenu dans le langage courant l’équivalent de « fin du monde » ou « grosse catastrophe » ou encore « comment est-ce que je vais pouvoir finir à temps avec tout ce qui me tombe dessus en ce moment c’est vraiment pas possible il ne me reste plus qu’à prendre une boisson chaude et procrastiner en espérant que tout se résolve par magie ».
Vous vous doutez bien que ce n’est pas totalement par hasard que l’on constate cette évolution depuis 2000 ans. La raison est plutôt simple en fait, ce texte est à la fois difficilement compréhensible parce que débordant de symbolique (le genre de passage que vous relisez trois fois pour être certain que vous n’avez pas sauté une ligne) tout en étant plein d’éléments capables de frapper les esprits et faciles à se représenter (façon film de fin du monde… la boucle est bouclée).
05 Puis l’ange prit l’encensoir et le remplit du feu de l’autel ; il le jeta sur la terre : il y eut des coups de tonnerre, des fracas, des éclairs et un tremblement de terre.06 Puis les sept anges qui avaient les sept trompettes se préparèrent à en sonner.
07 Le premier sonna de la trompette : il y eut de la grêle et du feu mêlés de sang, qui furent jetés sur la terre, et le tiers de la terre brûla, le tiers des arbres brûlèrent, toute l’herbe verte brûla.
08 Le deuxième ange sonna de la trompette : dans la mer fut jetée comme une grande montagne embrasée, et le tiers de la mer fut changé en sang ;
09 Dans la mer, le tiers des créatures vivantes mourut, et le tiers des bateaux fut détruit.
10 Le troisième ange sonna de la trompette : du ciel tomba une grande étoile qui flambait comme une torche ; elle tomba sur le tiers des fleuves et sur les sources des eaux.
11 L’étoile se nomme « Absinthe », et le tiers des eaux devint de l’absinthe : beaucoup de gens moururent à cause des eaux devenues amères.
12 Le quatrième ange sonna de la trompette : le tiers du soleil fut frappé, et le tiers de la lune et le tiers des étoiles ; ainsi chacun d’entre eux fut obscurci d’un tiers, le jour perdit le tiers de sa clarté et, de même, la nuit.
13 Alors j’ai vu : et j’entendis un aigle qui volait en plein ciel, disant d’une voix forte : « Malheur ! Malheur ! Malheur pour ceux qui habitent la terre, car la trompette, encore, doit retentir quand les trois anges sonneront ! »
Extrait de l’Apocalypse de Saint Jean (version AELF 8:5-13) – le surlignage en gras est de mon fait.
Je ne pourrais vous faire d’explication de texte complète, la théologie est de toute façon une discipline à part entière et qui ne passionne pas tout le monde, mais il faut au moins en profiter pour pointer quelques détails qui me paraissent intéressants et « réutilisables » hors de ce passage précis :
- La présence forte des nombres : 3, 4, 7 un tiers de tout, est facile à remarquer.
Il s’agit d’un classique des références numéraires qui peut servir à exprimer la perfection du divin (Père/fils/Saint-Esprit -> triangle équilatéral un peu vite associé au franc-maçons par exemple) ou encore comme c’est probablement le cas ici, à accentuer les choses. La Bible en contient plein (mais pas qu’elle) comme le 12 qui indique un ensemble complet (apôtres, tribus d’Israël) ou le 4 qui a valeur d’universalité (fleuves supposés venir du Paradis séparer le monde : le Gange, l’Indus, le Tigre et l’Euphrate -> notion à ne pas prendre au pied de la lettre).
- Les fléaux qui s’abattent sur Terre vous rappellent quelque chose ?
C’est normal, ils sont pour la plupart tirés de textes plus anciens. La mer changée en sang ne vous rappellerait-elle pas la première des plaies d’Egypte (Exode. 7, 14-25) ? Depuis, on a constaté à plusieurs reprises que les mers, rivières ou pluies dites de sang sont causées par des micro-algues, il y aurait probablement donc une explication scientifique possible à ce phénomène pas si exceptionnel que ça, mais définitivement très impressionnant !
- Une étoile appelée Absinthe et pourquoi pas une comète nommée désir ?
Il faut savoir que l’absinthe est amère, du genre qu’avant d’être une boisson alcoolisée surnommée « la fée verte », son nom désigne des herbes ou préparation amères et que le nom « Tchernobyl » signifie herbes amères/absinthe… Autant vous dire que l’accident nucléaire avait quelques raisons supplémentaires de faire paniquer les ultra-religieux à tendance fin du monde en 1984. Les eaux amères peuvent bien sûr êtres reliées aux épidémies provenant d’eaux de mauvaises qualités, mais il existe aussi une épreuve de l’eau amère citée dans la Bible où une femme supposée infidèle devait boire une eau amère et devait être confondue selon si elle en souffrait ou pas (Nombres 5:11-31). Autant dire que les épreuves pour confondre les suspectes de sorcelleries ne sortent pas de nulle part…
C’est bien beau tout ça, mais alors cette histoire de femme et de Lune ?
On y arrive !
01 Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles.
02 Elle est enceinte, elle crie, dans les douleurs et la torture d’un enfantement.
03 Un autre signe apparut dans le ciel : un grand dragon, rouge feu, avec sept têtes et dix cornes, et, sur chacune des sept têtes, un diadème.
04 Sa queue, entraînant le tiers des étoiles du ciel, les précipita sur la terre. Le Dragon vint se poster devant la femme qui allait enfanter, afin de dévorer l’enfant dès sa naissance.
05 Or, elle mit au monde un fils, un enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations, les conduisant avec un sceptre de fer.
Extrait de l’Apocalypse de Saint Jean (version AELF 12 :1-5) – le surlignage en gras est de mon fait.
Et oui, cette femme qui se tient sur la Lune n’est autre que Marie, mère de Jésus (ou le symbole de l’Église écrasant la religion juive associée aux païens dans certains cas).
On voit d’ailleurs le Christ dans l’espace entre les pieds de Marie et le croissant dans l’illustration ci-dessus, mais il sera bien souvent représenté dans les bras de sa mère à la place comme ci-dessous.
Cette sculpture en tilleul peint fut réalisée vers 1480 et retrouvée à Bretzenheim, actuel quartier de la ville de Mayence où elle est exposée au Landesmuseum. Oh et tant que que j’y suis, un empereur romain s’est fait assassiner à Bretzenheim en 264… maintenant vous le savez !
Classique ou exception ?
Il faut se dire que les représentations de Marie et la Lune (ça sonne un peu comme un titre de conte vous ne trouvez pas ?) ont connu des hauts et des bas liés à l’évolution du christianisme. C’est un phénomène tout à fait classique d’ailleurs.
En l’occurrence, à ma connaissance on les trouve surtout durant trois périodes :
- dans les représentations apocalyptiques durant le début de la période médiévale, comme un élément parmi d’autres ;
- au début de la Renaissance avec un certain retour vers la figure de Marie aux multiples visages, autant reine que mère, figée que chaleureuse ;
- au XIXème siècle avec notamment la fixation du dogme de l’Immaculé Conception (en résumé : Marie est née exemptée du péché contrairement à tous les autres humains marqués par le péché originel) ce qui fait exploser la popularité de la Vierge Marie…
Ceci est très grossier comme découpage, mais donne une vague idée j’espère.
De telles représentations ne se développent que dans des contextes particuliers.
Il faut pour cela combiner trois critères :
- que les images soient tolérées ;
- que les personnages sacrés ou importants de la religion chrétienne puissent être représentés ;
- que la figure de la Vierge Marie soit « à la mode ».
Cela peut paraître simple comme ça et pourtant les deux derniers critères sont très discutés au sein de la branche de la religion chrétienne formée par les protestants. Un exemple symptomatique en est la vénération des reliques de Marie (goutte de lait, morceau de tuniques…) ou de saints (2ème phalange du gros orteil, sang, empreinte de pied droit…), inspirant à Calvin son traité des reliques où il dénonce les dérives mercantiles ou à tendances magiques liées à ces objets.
Ceci explique en grande partie la rareté des représentations de Notre Dame lunaire à partir du XVIème siècle dans certaines régions d’Europe plus touchées par la Réforme protestante.
D’ailleurs il est plus que temps que je vous dise que l’on ne trouve Marie et sa Lune que dans le christianisme ! La mère de Jésus est bien présente dans le Coran, rédigé après le Nouveau Testament, sous le nom de Maryam, mais malgré une base biblique commune la divergence au niveau des textes et notions retenus fait que l’Apocalypse y est passé à la trappe. Elle est donc une femme très respectée dans l’islam, bien que privée de son super piédestal !
4 autres exemples pour le plaisir
L’Apocalypse s’admire
Si de multiples références lui sont faites dans des œuvres d’art comme on vient de le voir, il en est une qui brille parmi les autres : la Tapisserie de l’Apocalypse conservée au château d’Angers.
C’est un joyau bien loin des fades petits morceaux de tapisserie que l’on aperçoit dans certaines vieilles demeures : un ensemble cohérent de 100 mètres riche en couleurs qui a pourtant plus de 600 ans au compteur 🙂 !
J’espère que vous aurez supporté voire même apprécié le voyage, comme toujours je suis plus que preneur de vos réactions en commentaire et si vous avez appris des choses, n’hésitez pas à partager l’article à d’autres que seront sûrement contents de les découvrir aussi 😉
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Aah, quel bonheur, un billet comme celui-ci ! J’étais bien curieuse de découvrir ce que tu mijotais, à propos de la lune.
Merci pour cette parenthèse culturelle, j’ai appris plein de choses (je ne suis pourtant pas fan de la Bible, mais enfin c’est un terreau extrêmement riche dont on peut difficilement faire abstraction quand on s’intéresse au symbolisme et à la mythologie).
Merci tout particulièrement pour l’iconographie, qui m’enchante. La tapisserie de l’Apocalypse à Angers est absolument sublime, et rejoint tout de suite ma liste-de-choses-à-voir-avant-de-mourir.
🙂 Quel plaisir de lire un commentaire comme ça !
Pour la Bible, je comprends très bien que le caractère religieux du livre puisse être un repoussoir, en plus du style pas forcément toujours très compréhensible, malgré tout cet ouvrage est à la source (même si reprenant régulièrement des mythologie pré-) de tant références culturelles, parfois très sérieuses mais assez souvent tellement étonnantes qu’elles en deviennent fascinantes voire amusantes à mes yeux.