« La plus grande partie des mets ne se faisant qu’au moment où on les demande, on est invité à les commander d’avance pour éviter d’attendre. »
C’est ce qu’indiquait Duvelle, restaurateur-glacier, rue de Rivoli, en 1828 (aujourd’hui sur Gallica). Notons au passage que le « fait maison » ou « fait à la minute » n’est pas nouveau 😉
Ce petit clin d’œil à mon rythme de publication en chute libre fait, vous découvrez en même temps le thème de cet article : parler de la boustifaille sur le papier.
Je n’ai peut-être pas insisté jusqu’ici bien que j’ai une catégorie « gourmand d’images » dédiée aux aliments, mais je suis gourmand 🙂 Avec la chance d’aimer ou au moins de ne pas détester (la nuance est importante quand on n’a pas le choix des ingrédients) la grande majorité des choses qui se mangent ou boivent. Si j’ai également la chance de pouvoir aller manger de temps en temps au restaurant et de m’acheter de bonnes choses, j’aime tout particulièrement regarder les menus, cartes et recettes, activité qui elle ne coûte rien !
Je vous invite donc à une petite promenade à travers quelques archives gastronomiques 🙂
L’estampe à la pelle ou la vogue des menus
Avec le développement des techniques, à la fin du XIXème siècle l’impression devient de plus en plus économique et à une échelle semi-industrielle et l’on trouve dès lors des menus imprimés quotidiennement dans de très nombreux restaurants et hôtels. Cette multiplicité a créé une une diversité tant dans les formes que les usages : simple information ou mini œuvres d’arts, usage unique ou collection par des libellocénophiles aussi appelés missuphiles. Ce sont souvent ces derniers qui nous permettent d’ailleurs d’en conserver de multiples exemplaires anciens.
Pour rappel : l’estampe est le terme large incluant autant les gravures que les lithographies qui sont des impressions sans avoir creusé de surface sur la matrice (pour en savoir plus auprès d’une vraie chercheuse : Pecadille – parcours estampe).
Vous avez remarqué ces petits personnages sous la droite ? Ils ne vous rappellent pas un succès du film d’animation avec un petit personnage du nom d’un célèbre plat français du Sud ?
Il y a toute une histoire autour des menus qui mérite des recherches et d’être davantage racontée. N’étant pas du tout spécialiste du sujet, en cherchant un peu de quoi me documenter j’ai découvert que le Musée des arts décoratif et du design de Bordeaux a présenté en 2016-2017 une exposition s’intitulant « L’histoire se met à table » qui tournait notamment autour de ses collections de menus. Le livret en pdf de l’expo est encore sur le web, sans images, mais avec de nombreuses informations intéressantes.
Un bref extrait pour vous donner peut-être envie de le parcourir :
Document de travail à la base pour lister et chiffrer les mets que le cuisinier va s’appliquer à préparer, le menu devient, dans la seconde moitié du 19e siècle, un objet incontournable de la table, au même titre que les pièces de service qui y sont dressées. À la manière de ces objets de vaisselle prestigieux autrefois utilitaires et aujourd’hui conservés dans les collections publiques ou privées, les menus historiques sont passés du statut d’objets pratiques à celui d’archives.
Dans la série des menus historiques, je ne résiste pas au plaisir de vous montrer quelques menus de l’exposition universelle de 1900, délicieusement coincés entre l’art nouveau et un historicisme romantique :
Comme archives, ces feuillets ont plusieurs intérêts historiques assez évidents : observer les évolutions des habitudes alimentaires, des prix et disponibilités des produits…
De quoi faire bombance dans cette grande taverne, non ? Il y a même une brochette d’éperlans frits ! J’en connais une qui y serait probablement rentré 😉
Comme vous l’avez peut-être remarqué, ce lieu de picole et bonne chère se situait non loin de la fameuse butte Montmartre, probablement un établissement pas moins recommandable que les autres, cependant ce n’était forcément le cas de tous dans le coin. Il y avait des lieux un brin… particuliers 🙂 et pour ceux que ça intéresse je vous invite à aller découvrir par la suite le billet de Priscille Lamure pour son blog Savoir d’Histoire sur les bars flippants du Montmartre de la Belle-Époque.
De nombreuses autres perspectives sont possibles et peut-être dans les plans de futurs étudiants ou chercheurs, telles que l’évolution des techniques publicitaires et du rapport des marques et des consommateurs à l’authenticité du produit :
Vous avez l’exemple ici d’un menu publicitaire édité par la marque « Société » vendant du roquefort, encore un fabriquant bien établi dans le paysage dont l’origine est bien plus ancienne que ce que je pensais ! Au passage ceci n’est pas une publicité déguisée de ma part 😉 Mais si ladite marque décidait de faire un geste il y a des amateurs de fromages par ici #quinetenterien #monestomacparlepourmoi…
Ce type de feuilles étaient distribué pour que les restaurateurs inscrivent leurs menus tout en faisant la promotion du produit. On en trouve bien d’autres, notamment pour des alcools. Il en existe de nos jours toutes sortes de descendants, que ce soit les sets de tables, dessous de verres ou tableaux noirs effaçables offerts en contrepartie de logos affichés à la vue des clients.
On va continuer avec un menu pas comme les autres qui mérite un focus à part entière.
Grand restaurant de l’exposition
Lisez donc ce qui vous est proposé comme délices :
Il est assez vite évident que ce n’est ici pas une réelle liste de plats mais plutôt des boutades sur la mode des noms de plats plus lyriques les uns que les autres comme aiment en proposer les restaurants gastronomiques. L’arrosage aux vins blancs, bleus et rouges auront achevé de vous convaincre j’espère d’ailleurs !
Je n’ai pas trouvé plus d’informations sur le contexte de création ou d’explications à proprement parler du document, mais de nombreuses références semblent s’y cacher, que je me suis empressé d’essayer de comprendre 😉 Je vous en fais la liste ci-dessous, mais n’hésitez pas à compléter dans les commentaires ou à me suggérer d’autres interprétations :
- La Sauce Lauréol pourrait faire référence à la « lauréole, plante toxique et qui à petite dose suffit à vous mettre le tube digestif en vrac ;
- En ce qui concerne les écrevisses, il y avait depuis une vingtaine d’années un dépeuplement massif au niveau de ces bestioles et des cas d’empoisonnement émaillent régulièrement les journaux (1894, 1896) ainsi que des conseils pour éviter d’en être victime. En 1897, on annonce même être sauvé par l’importation d’animaux des USA… L’Histoire montrera que ceux-ci vont plutôt remplacer les écrevisses européennes restantes et sont considérées aujourd’hui comme une espèce invasive contre laquelle on cherche toujours actuellement des solutions.
- Kiel est une ville allemande où s’est installé en 1882 un grand chantier naval, l’arsenal Germania. Le souci est que cette ville portuaire est régulièrement prise dans les glaces, fait qu’un journal français, les Annales politiques et littéraires (disponible sur Retronews) rapporte en 1895 à l’occasion de l’inauguration d’un canal. Il s’agit donc au moins d’une référence à un problème climatique connu. Est-ce que cela recèle encore autre chose ? Mystère ;
- L’ordre des vins « blancs, bleus et rouges » est étrange étant donné que l’ordre des couleurs du drapeau n’a plus bougé depuis 1848. Simple changement pour rendre la blague moins visible en calant le bleu au milieu de deux couleurs réelles ou message ? Je penche pour la première option quand même.
Bien peu de choses encore comprises facilement ou connues de nos jours malheureusement ce qui n’empêche pas cette liste de me fasciner 🙂
Allez trêve de prise de melon et retour à de la vraie nourriture.
Les livres de cuisine, une histoire ancienne
Il n’a pas fallu attendre les guides et autres émissions mettant à l’honneur les meilleurs cuisiniers pour que ces derniers écrivent à propos de leur art. Le 18ème siècle notamment vit fleurir de nombreux ouvrages sur le sujet. En voici une petite sélection pas du tout exhaustive.
1 – l’universel
Ouvrage très utile dans les Familles & nécessaire à tous Maîtres d’Hôtels et Chefs !
Ce que vous venez de lire n’est que la version un brin réactualisée à ma sauce d’une mention présente sur l’originale, voyez donc :
Je vous présente l’édition 1729 de l’ouvrage Le Nouveau cuisinier royal et bourgeois de François Massialot.
Ce que je trouve le plus fou ici, c’est bien la mention « dans les familles » qui donne une vocation assez universelle à ce bouquin. Dans la réalité, c’est plus compliqué à mettre en place pour le quidam que pour la table du roi, soyons clair ! En revanche il y a pas mal d’effort pour rendre les choses compréhensibles aisément comme par exemple des illustrations !
De mesures pour ne pas se tromper
De vaisselle :
De disposition :
Je n’ai pas testé les recettes, mais avec la chaleur au moment où j’écris, je serai presque tenté de faire un essai avec du concombre (oui oui, il y en a !).
2 – Le saisonnier
Des ouvrages de cuisine à la cour ou inspirés de celle-ci, il en existe plusieurs. J’aime notamment aussi celui-ci :
Les soupers de la Cour, ou L’art de travailler toutes sortes d’alimens, pour servir les meilleures tables, suivant les quatre saisons
Si de nos jours on refait de plus en plus attention à manger des fruits et légumes de saisons, les gastronomes ont de tous temps été forcés de s’adapter à ce qu’ils avaient sous la main selon les périodes alors quand en plus il faut nourrir des gens plutôt exigeants il est important de connaître les possibilités !
L’ouvrage commence par un avertissement dont les premières lignes m’ont tiré un grand sourire.
Je ne suis pas un officier de cuisine, mais plus de 250 ans après, oui, ma curiosité est excitée par ses écrits 🙂
3 – L’exotique donneur de leçon
Dans un autre registre, dans mes recherches je suis tombé sur un ouvrage bien moins franco-centré :
L’Art de préparer les alimens, suivant les différens peuples de la terre
ou plus exactement sa seconde édition, de 1787, par Pierre-Joseph Buc’hoz.
Deux mots sur ce monsieur au passage. Il fut accusé de son temps d’être un auteur plutôt trop prolixe pour être sérieux, traduisant, reprenant, compilant ou adaptant avec des erreurs des ouvrages originaux d’autrui… Véridiques ou non, ces accusations mettent au moins en lumière la grande diffusion d’ouvrage de langues étrangères (le latin étant depuis plusieurs siècle passé de mode comme langue unique des sciences) et la nécessité de traducteurs. Vous seriez étonnés de savoir combien de grands auteurs (Voltaire et Baudelaire pour la rime…), scientifiques et inventeurs (Émilie du Châtelet fut les 3 à la fois), traduisirent d’autres travaux considérés comme des classiques !
Pour revenir à notre livre, il y est adjoint une « notice succincte sur le salubrité ou insalubrité ». Cela donne le ton !
Rien que dans la préface on y apprend, selon l’auteur, ce n’est pas nécessairement mon avis ou l’avis scientifique actuel, que le pain est le meilleur des aliments sans lequel rien n’est bon, que le lait et les œufs sont ceux qui s’assimilent le mieux et que ceux qui veulent arriver à une heureuse vieillesse doivent manger des aliments simples et en petites quantités, ou ne manger que des fruits et des légumes… Vous n’avez pas l’impression d’avoir déjà entendu ou lu ce genre de choses récemment vous ?
Bien évidemment, je préfère le répéter, ce n’est pas nécessairement mon avis ou l’avis scientifique actuel du moins pas sans beaucoup de nuances 😉
L’invitation
… parce que le plaisir de manger commence en amont !
Dans un autre genre je vous propose des cartons d’invitation pour le « Dîner organisés par Les Amis de l’Art Japonais ».
Plutôt travaillée comme invitation, non ? En tout cas celles-ci je les garderais bien après l’événement plutôt que de les mettre à la poubelle !
J’en profite pour vous signaler que le site de l’INHA (Institut National d’Histoire de l’Art) d’où est tirée celle de 1914 avec le toutou nous apprend entre autres choses que la svastika apposée sur les estampes signifie qu’elle a été réalisée à la manière japonaise. Toutes les notices ne sont pas aussi fournies, mais il y a parfois de petites informations comme ça alors n’hésitez pas aller voir les sources, j’essaie de les donner le plus souvent possible.
Je vous invite d’ailleurs à aller regarder toute la série conservée parce qu’il y en a vraiment pas mal de très chouettes.
Conclusion : à table !
Comme d’habitude, j’espère que vous terminerez cet article en ayant fait quelques découvertes et pourquoi pas avec un coup de cœur ou deux. Si tel est le cas, cela me fait toujours plaisir de le savoir en commentaire et peut-être que certaines personnes de votre entourage pourrait apprécier ce billet également ? 😉
Merci d'avance !
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Oh mince, j’ai bien ri. J’aime beaucoup la présence de Remy : le rat sur le menu, comme si Disney avait eu echo de cette annecdote historique.
J’ai encore ri à chaque fois que j’ai vu le mot « fervir », le s remplacé par un S tellement long qu’on dirait un f minuscule 🙂
Bref, j’ai eu faim …
Beau travail.
Merfi, je fuis content que le menu vous soit à votre goût 🙂