Il vous est déjà arrivé de vous demander d’où venaient les cocottes-minutes ? Votre serviteur, habitué des questionnements étonnants, s’est réveillé un matin avec cette question en tête… Oui, je me pose de drôles de questions parfois !
Gyoza, ravioli et autres dimsum ?
Si vous êtes amateurs de cuisines asiatiques, il ne vous aura probablement pas échappé que de nombreux mets y sont cuits à la vapeur.
Cette technique est apparemment assez ancienne en Asie mais on la trouverait aussi sous d’autres formes en Afrique du Nord.
Par contre, pour ces paniers en bambous et autres matériaux abordables, la cuisson est faite uniquement à la vapeur d’eau, donc légèrement sous les 100°C, loin des 120° atteints facilement par une cocotte minute grâce à la pression, d’où la différence de temps de cuisson.
Du coup, comment en est on arrivé à ajouter la pression dans l’équation ?
Le digesteur
A l’heure actuelle, si vous chercher « digesteur » dans votre moteur de recherche préféré, vous tomberez surement sur des appareils qui n’ont pas grand lien avec le monde culinaire mais plutôt avec l’épuration des eaux et l’hygiène, ce qui est aussi intéressant d’ailleurs. L’idée est d’ailleurs toujours de transformer ce qu’on l’y met, tout comme la digestion dans notre corps.
Celui dont je veux vous parler est une machine créée autour de 1679-1680 par Denis Papin, inventeur et scientifique touche-à-tout français (il a fabriqué un sous-marin nommé Urinator, si je n’avais pas encore capté votre attention), surtout porté sur les mathématiques et la physique.
Sa machine, le digesteur, est une sorte de cylindre creux très massif dont il fait chauffer le fond, avec une soupape de sécurité. Dans le trou il peut mettre un objet et refermer le tout avec un système de vis. La température augmente (jusque là rien de révolutionnaire), mais avec la fermeture hermétique, la pression également, ce qui change le point d’ébullition ou de fusion des matériaux… ouvrant tout un nouveau champ de possibles.
Des expériences, il en mènera avec un peu tout ce qui lui tombe sous la main et il constatera bien vite que son invention a de multiples propriétés étonnantes, permettant de faire fondre du métal assez facilement, semblant créer une sorte de vide d’air (imaginez un peu tout ce qui en découle) et peut aussi avoir une utilité pour la cuisine.
Il rédigera donc un ouvrage au titre explicite : La Manière d’amolir les os et de faire cuire toutes sortes de viandes en fort peu de temps et à peu de frais, avec une description de la machine dont il se faut servir pour cet effet… nouvellement inventé par M. Papin. Vous pouvez le lire sur Gallica si l’envie vous prend 😉
Son digesteur, aussi surnommé marmite (de) Papin dans ses versions plus abouties, marque la naissance de l’autocuiseur, comme on appelle communément ce type de récipient fermé utilisant la pression pour cuire à haute température.
La cocotte
Je ne peux m’empêcher de faire un détour sémantique parce que la cocotte n’est pas qu’un ustensile de cuisine.
La cocotte de basse-cour
Cot’ cot’
fait la poule… bref, c’est par similarité avec ce cri que l’onomatopée se serait semble-t-il transformée en synonyme de l’animal.
La cocotte en papier
Ce sont surtout les enfants qui peuvent s’amuser à faire un pliage figurant une poule. La cocotte en papier est multiforme au sens propre comme au figuré !
C’est avant tout un jouet, une petite fantaisie que l’on ne prend guère au sérieux mais, comme tout, avec un peu d’imagination on lui en fait signifier des choses à cette cocotte !
On trouve par exemple le dessin ci-dessus de Nadar, plus connu aujourd’hui pour sa facette de photographe que de caricaturiste. Il met en image ici ce que je décrypte (mais n’hésiter pas à apporter des précisions) comme la mainmise de Moïse Polydore Millaud et les débâcles que subissent les nombreux journaux rachetés ou lancés par l’homme d’affaire spécialisé dans la presse et à qui tout n’a pas réussi, entraînant dans sa chute pas mal de monde. Cela vous évoque des affaires récentes ?
D’ailleurs on retrouve un joli journal satirique de ce nom :
Pour l’anecdote et les curieux qui iraient en lire quelques pages, une grue désigne au XIXème siècle une femme niaise ou vénale à tendance prostituée… « Faire le pied de grue » prendra peut-être un nouveau sens pour vous 😉
Il y a aussi l’utilisation artistique comme allégorie (de quoi ? Je prends les suggestions) :
On trouve aussi un certain Méliès, touchant vaguement au cinéma ( 😉 ) et dessinant à ses heures perdues des choses étranges tels qu’une lune avec un obus dans l’œil, ou une drôle de poulette (oui le rapprochement est voulu) :
La cocotte de ces messieurs
La cocotte est un des noms donnés sous le Second Empire aux prostituées de luxe qui ont contribué à donner un caractère sulfureux au Paris immortalisé dans des romans tels que le Nana de Zola et à nourrir la vie mondaine de nombreuses anecdotes…
Certaines furent bien évidement plus célèbres que d’autres et je voudrais au moins vous présenter Emma Élizabeth Crouch, mieux connue sous le pseudonyme de Cora Pearl ou le sobriquet « le plat du jour » (pas très classe).
Pour la petite histoire, elle fit faire un moulage de sa poitrine et de sa main pour offrir… Je trouve qu’il y a un peu du même fétichisme que la coupe de champagne moulée sur le sein de Kate Moss, écho à la légende entourant la création de la première coupe (Marie-Antoinette ou autres grands noms).
Si cette figure de la vie mondaine vous intéresse, elle a rédigé ses mémoires (à prendre avec des pincettes comme d’habitude avec les autobiographies) ou son article wiki sont de bons départs pour découvrir ses misères, frasques, mais aussi son influence !
L’expression « cocotte » est restée dans le langage courant au moins jusque dans la première moitié du XXème siècle le synonyme de courtisane ou femme légère. Petite sélection illustrative tirée d’une planche de Henry de Hem disponible sur Gallica/BNF.
« Sentir, puer la cocotte » signifie sentir un parfum de mauvaise qualité comme ceux dont usaient les cocottes de bas étage et a donné le verbe « cocotter ».
cf : wiki
On est quand même loin de la cuisson vapeur mais si vous entendez quelqu’un dire
Ma cocotte, tu vas passer un sale quart d’heure !
- vous saurez que c’est une expression qui est ancienne et pouvez maintenant savourer tout le poids de l’Histoire ;
- une fois arrivé au poste de police (parce que oui, on ne vous menace pas impunément) vous pourrez expliquer à l’agent chargé de votre déposition que l’on vous a non seulement menacé mais aussi offensé ;
- préparez-vous un bon petit plat à la cocotte en rentrant pour vous remettre de vos émotions.
Enfin ça c’est une version…
…puisque « ma cocotte » est une expression porteuse d’une autre histoire dans les Antilles. Il s’agit en effet d’un terme utilisé pour désigner les jeunes compagnes esclaves que l’on attribuait à des filles de propriétaires blancs pour se divertir. On peut trouver l’hypothèse d’un lien entre le remplacement d’une poule, cocotte, avec laquelle l’enfant s’amusait par une version « améliorée », une esclave, notamment sur ce blog. Je ne sais à quel point cela est proche de la vérité mais vu l’ambiance de l’époque, pas totalement improbable 🙁
Par extension « ma cocotte » a fini par désigner une amie proche ou simplement un terme affectueux donnant en créole : Makôkôt.
La cocotte-minute®
SEB est passé par là puisque c’est même une marque déposée. On retrouve cependant aussi la SUPER-COCOTTE®, notamment dans ces affiches magnifiquement sexistes :
Elle n’est bien sûr pas la seule entreprise qui se lance dans le créneau (cocotte et sexisme d’ailleurs) et l’on retrouve par exemple WearEver aux USA :
Si vous voulez en savoir plus sur l’ustensile et l’histoire sociale autour, France culture lui a consacré une émission où intervient notamment Aurélie Brayet, ayant réalisé une thèse sur l’histoire et la mémoire des arts ménagers et un livre sur la cocotte.
Le mot de la fin
L’utilisation de « cocotte » pour le domaine culinaire pourrait remonter assez loin.
On retrouve en effet coquemar au moins dès le XVIème siècle pour désigner un récipient dans lequel on fait bouillir des aliments, qui semble remonter à un mot byzantin, mais l’utilisation chez les Romains du verbe coquere (coquo, coxi, coctum) pour parler de la cuisson est une piste qui me plait davantage. N’étant pas linguiste je vous laisserai choisir ou proposer autre chose 🙂
J’espère que cette plongée dans le bouillon des multiples sens et histoires de cocottes ne vous aura pas trop fait surchauffer le cerveau et que vous trouverez la voie des commentaires ou des boutons pour partager cet article s’il vous a plu, à bon entendeur 😉
Merci d'avance !
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excellent : comme toujours, ces pirouettes, ces passages droles du coq a l’ane (de la cocotte a l’ane ?), ces tangentes me ravissent et me renseignent.
Un grand merci pour ce gentil retour. 🙂